jeudi 5 avril 2007

Quel développement pour être durable


Loin de moi l’idée de nier une certaine prise de conscience de la nécessité de modifier profondément nos sociétés et encore moins que M. Philippe Martin et le Conseil Général du Gers s’engagent dans une réflexion qui est la nôtre depuis quelques décennies.

De voir le Président Martin s’exprimer devant un écran où est écrit : “Aujourd’hui se décide ce que sera le monde de 2050, et se prépare ce qu’il sera en 2100. Selon la façon dont nous agirons, nos enfants et nos petits-enfants habiteront un monde viable ou traverseront un enfer en nous haïssant” (Jacques Attali) prouve que le problème est bien perçu désormais tout en laissant planer quelques doutes... Si je suis d’accord avec M. Attali sur le diagnostic je serai moins enthousiaste sur ses remèdes qui font, je crois, trop confiance au “progrès technologique”. On voit avec les raisonnements de M. Allègre tellement certain d’avoir raison seul contre tous que le problème est complexe et que les intérêts particuliers peuvent parfois prendre le pas sur ceux de la planète...

Cependant les démarches qui se mettent en place vont dans un sens que j’approuve et donc je le dis... Les idées sont bonnes, allons-y !

C’est donc sur le thème “Développement durable” qu’il convient de “s’engager aujourd’hui pour demain”. Et déjà ici interrogations : peut-on développer durablement une façon de vivre et de consommer qui fait d’un gersois un prédateur qui consomme 3,5 fois ce que la planète peut produire (moins certes pour bon nombre mais tellement plus pour d’autres...) ? Que va-t-on mettre dans ce “développement” pour qu’il soit “durable” ? On n’y parviendra qu’en modifiant profondément les valeurs et les modes de vie qui nous mènent à grande vitesse vers ce mur, vers ce mur que nous allons prendre en pleine figure et ce sera d’autant plus douloureux si nous n’y sommes pas préparés...

Et là on sait bien, M. Martin le sait bien, lui qui nous entretenait de la puissance des lobbys il y a peu dans la presse (routiers, agriculteurs irrigants, syndicats agricoles, chasseurs, etc... disait-il) que les résistances vont être grandes. Car si la planète et par là même la grande majorité de ses habitants vont en profiter, les grands prédateurs (eh oui, il y a d’autres prédateurs que les ours ou les loups !) vont lutter de toutes leurs forces pour préserver leurs privilèges et leur capital.

Je ne prendrai ici, pour être bref, que deux exemples.

Les transports. Savez-vous combien coûte la ligne de ferroutage qui vient d’être ouverte de Perpignan à Luxembourg ? 54 millions d’euros (il s’agit de la modernisation d’une ligne existante et de la création de gares de chargement et de déchargement adaptées). Sur cette ligne Perpignan-Luxembourg, le tarif moyen sera de 0,90 euros par kilomètre et par remorque pour un client régulier alors que le coût du trajet par la route atteint aujourd'hui 1,05 euro, selon Philippe Mangeard (président de Modalohr, la société alsacienne qui pilote le projet). Le train sera également plus rapide : 15 heures de trajet contre 17 à 22 pour la route et il fonctionnera 7 jours sur 7. Il faut environ deux minutes pour charger la remorque sur le train. Autant d'éléments en faveur du rail... Autant d'éléments auxquels viennent s’ajouter les intérêts pour l'environnement ainsi que pour la sécurité...
A titre de comparaison la seule portion Auch/Aubiet (vous savez le tronçon où les "ouvrages d'art" sont actuellement perdus dans les champs sur 8,3 km !) était évaluée (chiffre de 2001) à 41,884 millions d'euros, c'est dire que lorsqu'il sera réalisé, ce tronçon aura coûté beaucoup plus que la ligne de ferroutage Perpignan/Luxembourg. Et pour gagner quoi ? Environ 1 minute entre Auch et Toulouse pour en perdre régulièrement 30 à 60 entre Colomiers et l’arrivée à Toulouse !
Et pendant ce temps le train se traîne sur la ligne Auch-Toulouse...
Il est totalement aberrant de vouloir encore construire des routes (autres que les déviations nécessaires au contournement des localités totalement asphyxiées, au propre comme au figuré, par la civilisation du tout routier). Tout comme il est aberrant de vouloir que l’éventuel (et stupide) grand contournement de Toulouse passe à l’Ouest (pour mieux engorger l’Est du Gers sans doute et pour faire un désert de tout le reste du département lorsque le centre commercial de Plaisance-du-Touch aura fait totalement disparaître le commerce gersois).

L’eau. Suivant la Volonté Paysanne n° 1086 du 6/11/2004, la redevance payée pour l’irrigation est de 4,29 euros pour 1000 m3, soit 0,00429 le m3, soit 0,0000042 euros le litre. Pensez-vous que cette redevance tienne compte du principe de pollueur-payeur ? Toujours suivant le même journal : en grandes cultures 1 ha irrigué = 3000 m3 alors qu’un ménage consomme environ 100 m3 par an ce qui donne : 1 hectare de maïs = 30 ans de consommation d’un ménage !). M. Cartier a beau dire que le maïs “est de toutes les céréales celle qui emploie le moins d’eau sauf qu’elle en a besoin à un moment où il ne pleut pas...”, il ne nous fera pas admettre que cette forme d’agriculture soit durable là où il ne pleut pas justement ! Le volume des retenues a été multiplié par cinq ces dernières années et les problèmes s’amplifient. Dire que le maïs cultivé dans le Gers est nécessaire à nourrir “une production de qualité, le foie gras et les canards” est aussi peu sérieux que lorsque le même M. Cartier défendait la nécessité des OGM pour nourrir l’Afrique ou exporter en Chine ! Au fait, les canards seront-ils toujours de qualité nourris aux OGM ? Et le cheval de bataille repart au galop : il faut augmenter les ressources. Certes. Par la prière peut-être, comme cela se faisait autrefois en Bretagne ? Cela servirait également à diluer les pesticides comme on l’entend parfois car non seulement l’eau est rare mais en plus elle est polluée. Et pour aussi bonne qu’elle soit, l’idée de l’action test Gers Amont n’apportera guère d’amélioration si ce n’est en injectant quelques millions d’euros dans les caisses d’une petite vingtaine d’agriculteurs ainsi “modernisés”. Il n’est qu’à voir l’utilisation des glyphosates actuellement largement répandus un peu partout, y compris sur les talus, les chemins communaux et les fossés, gorgés d’eau en cette saison, eux-mêmes, ce qui est un délit.

Décidément il y aura bien des résistances intéressées à renverser pour initier un développement pour le bien de tous et qui soit effectivement durable. Heureusement le prix croissant des énergies fossiles aidera à trouver un équilibre plus respectueux de la planète et de ses habitants (au sens large du terme). C’est l’énergie renouvelable qui se trouvera revalorisée (y compris l’énergie humaine) et il redeviendra “rentable” de produire ici.
Michel Bordes

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